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"J'avais cinq ans quand la guerre a commencé."

​Dans les décombres de la guerre en Syrie, un conflit complexe, se tisse un drame humain qui pousse des milliers de familles à fuir leur pays déchiré par les affrontements.


Depuis le début du conflit en 2011, la Syrie présente une des crises humanitaires les plus dévastatrices. Les bombardements, les affrontements armés et les atrocités vécues ont forcé des millions de personnes à abandonner leur maison dans l’espoir de trouver mieux ailleurs.

Parmi eux, beaucoup de jeunes, qui voient leur enfance et adolescence enlevées à cause de la guerre. Ils doivent faire un choix entre rester dans un endroit connu pour eux mais en pleine violence et incertitude ou commencer ailleurs, loin de chez eux, en espérant trouver mieux.

Dans ce photo reportage, nous nous plongerons au cœur de ce problème, pour témoigner de la résilience dont ces familles, ces jeunes font preuve. Jeunes contraints de grandir trop vite et de trouver leur place dans un monde qui leur est étranger.


J’ai décidé de me pencher plus précisément sur une famille syrienne qui a immigré ici à la suite du conflit, mais beaucoup sur l’expérience féminine de la mère et de la cadette de la famille, la jeune fille à avoir du vivre ce changement et ce qu’elle fait chaque jour afin de mieux le vivre et de mieux s’adapter. Un changement vu par les yeux d'une jeune fille. Je suis aussi allé rencontrer une enseignante spécialisée en difficultés d’apprentissage dans l’école où la jeune Rahaf Ataya poursuit ses études en ce moment, afin d’avoir la vision d’une femme travaillant au quotidien avec d’autres élèves dans la même position que Rahaf qui eux aussi tentent de s’orienter dans cette nouvelle vie. 

"Mon père a dû payer très cher pour nous faire sortir de prison et il a vendu tout ce qu'on avait en Syrie."

Au début de la guerre, les frères de Rahaf et son père ont dû partir en Jordanie pour soigner le plus vieux, laissant derrière la mère et la fille. Elles n’avaient pas de passeport, donc devaient rester en Syrie malgré la guerre.

Elles décidèrent d’attendre à la frontière et un jour, les autorités arrêtèrent la mère de Rahaf, car celle-ci portait le même prénom qu’une autre femme recherchée pour terrorisme. « Mais eux ils s’en foutent, ils veulent juste mettre quelqu’un en prison. Donc là on s’est retrouvées en prison. » Rahaf, ici âgée de cinq ans, se fit mettre en prison avec sa mère. Toute leur famille était partie, personne ne pouvait accueillir Rahaf, alors afin de ne pas perdre sa fille dans une famille syrienne quelconque, la mère de Rahaf décida de prendre sa fille avec elle en prison. Elles y sont allées et elles y ont passé à peu près un an et demi avant que le juge les appelle. Rahaf explique comment cela s’est passé : « Ils ne voulaient toujours pas vérifier les noms, alors le juge a dit comme quoi il était obligé de la condamner à mort et il lui a demandé (à ma mère): "Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse de ta fille?" Et elle a dit: "Tuez-la avant moi, parce que je ne veux pas qu’elle souffre ici." Parce que tout ce qu’ils font ici, c’est violer les filles, les frapper, les torturer. Elle voulait avoir la confirmation que je sois morte et aussi que je ne la vois pas mourir. »

Suite à cette condamnation, elles purent enfin contacter le père à l’aide du téléphone qu’un inconnu leur prêta pendant qu’elles attendaient d’être ramenées en prison. Rahaf m’explique : « Mon père n’avait pas le droit de rentrer en Syrie, alors il n’avait plus de contact avec nous, lui, il pensait qu’on était mortes à cause de la guerre. » Le père apprit donc où se trouvaient sa femme et sa fille et qu’il ne leur restait que deux mois à vivre. « Mon père a dû payer très cher pour nous faire sortir de prison et il a vendu tout ce qu’on avait en Syrie. » Ensuite, grâce à un avocat, elles purent s’enfuir de prison et passer la frontière afin d’aller rejoindre le reste de leur famille.

Leur histoire fut ensuite médiatisée et entendue jusqu’au Canada où cinq dames décidèrent d’aider la famille de Rahaf à immigrer : « Donc on a dit oui bien sûr, on veut une meilleure vie ! »

Maintenant, Rahaf habite dans un joli appartement avec sa famille et ses chats et a pu aller à l’école pour la première fois. Elle fait fréquemment de la danse, ce qui l’aide dans son adaptation à sa nouvelle vie ici.

photos sauvées de la guerre des parents de Rahaf lors d'une fête en Syrie
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Maintenant

"Je sais que ce qui s’est passé n’est pas correct, mais je suis capable de vivre avec et il existe tout le temps en moi, je ne peux pas l’effacer, mais j’ai appris à vivre avec."

Maintenant

La nouvelle vie de Rahaf et de sa famille

"Ma mère raconte combien il était compliqué de s’intégrer, surtout à cause de la barrière linguistique. Elle dit qu’apprendre l’anglais lui paraissait comme une montagne impossible à gravir, mais elle savait que c’était la clé pour trouver un emploi, pour aider ses enfants à s’intégrer à l’école, et pour pouvoir parler avec les gens du quartier. Malgré les cours de langue et les heures passées à étudier, elle se sentait souvent isolée et frustrée."

"Mon père, lui, parle surtout de l’aspect positif d’être au Canada. Il dit que vivre dans un endroit sans guerre a changé sa vie. Pour lui, le fait de ne plus entendre les bombardements la nuit et de savoir que ses enfants étaient en sécurité, ça valait toutes les difficultés qu’ils ont rencontrées. Il dit que voir ses enfants aller à l’école sans avoir peur, c’est ce qui le rendait le plus heureux. Ils ont enfin pu avoir une vie normale, avec des amis, des activités scolaires, et la possibilité de rêver à l’avenir sans crainte.

En fin de compte, mes parents sont d’accord sur une chose : ils ont choisi de venir au Canada pour offrir une meilleure vie à leurs enfants. Et même si le chemin pour y arriver a été long et semé d’embûches, ils ne regrettent rien. Pour eux, la sécurité de leurs enfants et la possibilité de vivre sans peur sont les plus grandes récompenses. Malgré tout, ils n’oublient pas d’où ils viennent, et ils restent reconnaissants de la chance qu’ils ont eue."


Traduction des réponses des parents de la part de Rahaf

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photo de la maman de Rahaf en Syrie
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La Danse

"C’est quelque chose qui m’aide beaucoup parce que, quand je vais là-bas, je ne pense pas à autre chose."

La Danse

La danse comme échappatoire

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L'école

"Je craignais ça, j’avais peur de rentrer à l’école parce que je pensais que j’étais juste différente, je ne m’acceptais pas.

Est-ce que c’est juste moi ou c’est tout le monde qui a vécu ça ?"

L'école

L'école comme endroit de transition

"Je crois que des fois on peut changer le cours de la vie de certaines personnes et c’est pour ça que je fais ce métier."

Je suis aussi allé rencontrer Alessandra Macri, une professeure spécialisée en difficultés d’apprentissage dans l’école où Rahaf poursuit ses études en ce moment, afin d’avoir la vision d’une femme travaillant au quotidien avec d’autres élèves dans la même position que Rahaf.

Alessandra m’explique : « Je côtoie ces élèves-là depuis maintenant sept ans et c’est sûr que ça permet une grande diversité et une grande ouverture d’esprit parce qu’on a vraiment des élèves qui viennent de partout dans le monde, donc c’est intéressant parce que ça permet d’ouvrir ses horizons et ça permet d’apprendre sur la culture des autres et souvent on se rend compte qu’ils vivent les mêmes enjeux, ils vivent les mêmes difficultés. »  Elle me dit aussi que, malgré après avoir travaillé depuis seize ans comme enseignante, elle n’est pas encore totalement « immunisée » aux difficultés qu’elle croise chaque jour à l’école : «Les parcours migratoires de nos élèves, c’est parfois sur des années, donc quand une famille a traversé les États-Unis à pied avec un petit sac à dos et que l’élève te l’explique du haut de ses douze ans avec ses petits frères et ses petites sœurs, tu te rends compte à quel point c’est tragique. C’est impossible d’être complètement détachée, c’est impossible. C’est impossible parce qu’on travaille avec des humains, puis chaque humain a son parcours, chaque humain a ses contraintes, chaque humain a ses défis, puis la journée où je serais 100% immunisée et insensible, ben va falloir que je change de travail.»

Pour elle, elle considère l’école comme un « filet de sécurité » qui permet aux jeunes de mieux atterrir dans ce monde nouveau. « C’est sûr que quand tu quittes un pays, tu quittes une vie, tu quittes une maison, tu quittes des amis, même la majorité de tes objets, donc tu es complètement déraciné quand tu arrives dans un nouveau pays et je pense que l’accueil qui tient compte de ces fragilités-là, ça aide. Et en tant qu’école, on a l’obligation d’accueillir adéquatement ces jeunes-là parce que c’est déjà gros de devoir quitter ta vie qu’on ne peut pas banaliser ça. »

Elle conclue : « Je crois encore aujourd’hui, après seize ans, que c’est le plus beau métier du monde et qu’on a beaucoup à apprendre de la nouvelle génération et de toute cette diversité culturelle là, ce vivre ensemble. À la fin de la journée, quand tu grattes un peu, tu te rends compte qu’on est tous un peu pareil, en étant différents, mais on vit sensiblement les mêmes enjeux. »

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